Colloque Mémoires du Rhône

Le colloque « Mémoire du Rhône », du groupe du même nom, consacré cette année au « Rhône frontière et trait d’union » s’est tenu les 5 et 6 septembre 2024 au Pavillon des Mangettes à Monthey (Valais). Il a été l’occasion pour le groupe de recherches Paysage Projet Vivant de la filière Architecture du paysage de l’HEPIA (HES-SO Genève) de présenter les travaux entamés en collaboration avec les offices cantonaux de l’Agriculture et de la Nature ainsi que de l’Eau pour établir un Observatoire du Rhône à Genève, dans le cadre de la convention programme 2020-2024.

Pour rappel, ce projet est le prolongement d’une coopération entamée en 2017 entre l’école et les offices cantonaux pour mettre en commun les données, les rendre visible, plus compréhensibles, et débattre des évolutions des espaces de vie et du territoire à l’aune de la transition écologique. 

L’idée d’un observatoire du paysage est ainsi conçue comme un outil transversal et interdisciplinaire de sensibilisation et de partage afin de mieux préparer l’avenir et de garantir la qualité de ces espaces. Il permet également de rassembler et d’échanger des informations sur les politiques et les expériences autour des mutations territoriales de Genève.

Cet observatoire du Rhône s’inscrit dans une volonté d’explorer l’identité territoriale de ce ruban de fleuve et les enjeux liés à son maillage territorial socio-écologique. C’est une démarche de construction partagée, visant à fédérer les acteur.ices territoriaux mais aussi à engager les habitant.es. Le but est de cultiver l’attention accordée à la préservation et l’accompagnement du fleuve comme ressource matérielle et immatérielle dans la planification urbaine et paysagère de Genève .

L’intervention du groupe PPV représenté par Molly Fiero et Anne Barrioz a eu pour but de présenter la démarche, les enjeux et les objectifs de mise en place de l’Observatoire du Rhône genevois. Le texte ci-après détaille la présentation.

Le Rhône genevois et multiples visages

Contextualisation rapide

Bien que ne représentant que 27 kilomètres sur les 800 et quelques kilomètres, depuis le glacier jusqu’au delta, le Rhône genevois constitue une charpente paysagère majeure et un territoire aux multiples visages.

Ce tronçon est fortement anthropisé, marqué par de nombreux barrages régulant son débit. L’énergie de ses eaux a alimenté l’expansion de la ville de Genève, de ses infrastructures industrielles et de ses cultures agricoles. Ainsi, le fleuve est une ressource matérielle et fonctionnelle porteuse d’activités socio-économiques visibles dans les paysages des zones industrielles le long de ses rives, les gravières exploitées et les enclaves agricoles nichées dans ses méandres.

Il structure également le territoire et le développement urbain en tant que pénétrante de verdure. Les forêts en galerie qui bordent ses rives encaissées à la sortie de la ville, ainsi que les étangs aménagés sur d’anciennes zones alluviales comme les Teppes de Verbois, offrent un dépaysement bienvenu face au rythme urbain des habitant.es de la ville-canton.

Le Rhône genevois est aussi un espace de vie et de convivialité, même si cette facette est relativement méconnue, peut-être en raison de sa géographie encaissée. On y aperçoit les joggeurs le long de ses rives et baigneurs se laissant porter par ses flots, amoureux de la nature, fêtards du vendredi soir et pique-niqueurs du dimanche : il représente un poumon vert et bleu accessible à tous.

Bien que les traces de présence humaine soient omniprésentes, le Rhône genevois n’est pas seulement un milieu de vie pour les humains. Il constitue un corridor écologique et un réservoir de biodiversité d’importance. On y voit les milans noirs qui planent dans le ciel l’été mais aussi des arbres sculptés en crayons par les castors. Ces deux exemples sont des témoins de la richesse de cet espace et des nombreux services écosystémiques du fleuve.

Ainsi, le Rhône genevois présente une diversité de facettes qui coexistent dans une cohabitation délicate. Il revêt de nombreux défis, tels que des pressions matérielles et d’usages, importantes sur ce territoire restreint, notamment la surfréquentation des milieux naturels ou encore la régulation stricte du débit qui influence les dynamiques écologiques des milieux fluviaux.

Notre vision du paysage

Le paysage est plus qu’un simple décor. Qu’il soit remarquable comme celui-ci devant nos yeux, ou quotidien comme le parvis des gares ferroviaires ou le parc du quartier ou l’on habite, le paysage joue un rôle central dans nos vies, en tant que lieu d’ancrage, de sens et d’expériences. C’est notre milieu de vie.

C’est à la fois une réalité physique :  par exemple celle de la vallée du Rhône, cette gaine technique du Valais qui accueille tant bien que mal l’infrastructure, l’autoroute, le train, les industries qui ont besoin de place, les cultures qui bénéficient du sol profond, autant les villes et espaces habités que des poches d’espaces naturels.

Dans le paysage s’entremêlent toutes nos activités humaines et l’environnement naturel. Le paysage c’est ce qui nous entoure, ce qui nous submerge : le sol humide sous nos pieds et les sommets qui s’étendent à perte de vue.

C’est donc aussi une construction sociale. Il prend racine dans notre perception individuelle, ou l’écoute du murmure d’une rivière, des sons en cascade du fleuve. Cette perception nourrit et prend forme dans nos représentations collectives. Pour prendre un exemple familier, le Rhône, dans le Valais, est un torrent dont la force impétueuse a dû être maîtrisée et corrigée pour permettre une cohabitation avec les activités et infrastructures des populations.

Chez nous, à Genève, on l’oublie, il se cache dans une géographie enclavée, refaisant surface dans des perspectives campagnardes. Dès qu’il passe la frontière, il devient encore autre chose : un fleuve plus paisible qui s’écoule vers la mer. Nous attribuons des significations et des valeurs aux paysages. Ces représentations influent sur la manière dont nous les percevons, les utilisons, et les préservons. 

Le paysage est donc à la fois le reflet et le produit des relations entre les individus et leur environnement. Il est le témoin des pratiques culturelles, économiques et politiques et le fruit d’une co-évolution, parfois harmonieuse, parfois conflictuelle, entre les populations et leur milieu de vie.

Une co-construction pour une vision et un territoire commun

C’est un territoire en mouvance continu, fruit d’une négotiation plus ou moins harmonieuse entre ces différents paysages et les intérêts, valeurs et aspirations  qu’ils portent.

La force structurante du Rhône et de ses écosystèmes est une véritable source de résilience pour le territoire genevois. Toutefois, la multifonctionnalité et la diversité des enjeux par rapport au cours d’eau sont aussi source de tensions, voire de conflits. Face aux défis climatiques, il y a un réel besoin d’adopter une approche intégrée et transversale pour garantir des conditions de vie durables, tant pour les êtres humains que pour les autres espèces, c’est-à-dire de penser l’organisation du territoire en lien avec les trames vertes, bleues et brunes, dans la continuité des sols perméables, du réseau écologique et de l’infrastructure écologique. Pour ce faire, les réflexions doivent sortir des silos qui dépendent à la fois de l’administration et des politiques publiques sectorielles, et être inter- et transdisciplinaires.

L’intérêt d’un observatoire

Fédérer une pluralité de regards

Un observatoire vise à considérer et rendre compte des formes paysagères comme l’aboutissement de processus environnementaux et de pratiques sociales complexes sur lesquels la collectivité tente, d’une manière ou d’une autre, d’exercer une action.

Outil d’observation des évolutions territoriales, les observatoires peuvent être perçus comme statiques, avec des données et études disponibles à un moment donné.

En France, l’Observatoire photographique du paysage compare des photos prises du même point de vue à différents moments pour documenter les changements territoriaux, créant une « mémoire photographique ».

 En Catalogne, l’Observatoire catalan du paysage a un rôle plus précis quant aux politiques territoriales en étant un organe de conseil au gouvernement et à la société en matière de paysage.

En Suisse, le programme « Observation du paysage suisse » s’appuie sur des indicateurs quantitatifs pour évaluer l’état et l’évolution du paysage, en tenant compte à la fois des aspects physiques et de la perception publique. Ce monitoring des perceptions prend la souvent la forme d’interviews ou de discussions autour de photo d’archives.

De manière générale, le risque des observatoires est qu’ils véhiculent une image statique du paysage, avec une dominance de la vue et de la perception visuelle des mutations. Le risque est donc de tomber dans une approche valorisant uniquement l’apparence des choses et l’esthétisation du paysage dans l’objectif de retourner à comme c’était avant.

Au-delà des matérialités paysagères, il s’agit finalement de rendre compte des multiples perceptions mais aussi à des visions renouvelées, des aspirations et ambitions des rapports entre acteurs et habitants du lieu. 

L’observatoire du Rhône : un outil de médiation paysagère 

L’observatoire du Rhône apparait comme un outil de médiation privilégié pour accompagner l’ évolution de ce territoire complexe au multiples facettes.Ce qui distingue l’observatoire du Rhône genevois : les objectifs : amorcer une démarche itérative et partagée par la médiation paysagère

Le projet d’observatoire du Rhône genevois mobilise le paysage comme un moyen de médiation, reliant les différents aspects et échelles des projets. Le paysage permet de relier les dimensions autant matérielles qu’immatérielles du territoire à divers niveaux, tout en créant des interactions transversales entre les thématiques (telles que l’urbanisation, la mobilité et l’écologie) et les acteurs concernés.

Dans ce cadre, il s’agit de mobiliser le paysage comme un outil pour débattre ouvertement des relations entre les sociétés et le milieu de vie. Les observatoires de paysage sont susceptibles de devenir un outil de partage permettant le recueil des savoirs de chacun, expert habitant, écolier ou acteur territorial, sur les paysages, mais aussi l’échange de points de vue et la participation de tous au débat. L’enjeu ici est bien de faire de l’observation un outil réflexif pour la prise de décision des acteurs et un moyen de les fédérer.

Il s’agit également de trouver le moyen de faciliter la prise en compte des valeurs et des aspirations des populations en ce qui concerne les devenirs possibles de leur cadre de vie en les associant à des objectifs qualitatifs. La médiation par le paysage a pour ambition de fédérer et faire évoluer les politiques territoriale dans une démarche participative de co-construction.

En ce sens, il s’agit autant de regrouper les acteurs institutionnels, leur savoir et savoir-faire mais aussi l’expertise et les ambitions citoyennes dans le processus décisionnel territorial. Ce type de médiation va au-delà de l’information et de la consultation, cherchant à impliquer activement les acteurs institutionnels et non-institutionnels (citoyens) dans la construction collective des politiques publiques en matière d’espace ouvert.

Pour accompagner le Rhône dans sa transition socio-écologique, la création d’un observatoire du Rhône genevois constitue une première étape pour élaborer une « poétique commune » (Mousquet, 2011). En effet, aborder l’écologie à travers le prisme du paysage implique de prendre en compte les différents usages et perceptions des espaces vécus. En s’interrogeant sur la qualité perçue des milieux naturels, en agissant sur la manière dont ils sont perçus par les usagers (orienter les regards) et en les rendant accessibles (aménager des parcours), le paysage devient un moyen de rendre visibles et compréhensibles les processus écologiques, par exemple en utilisant des alternatives aux signalétiques traditionnelles et peu didactiques. L’approche transversale du paysage offre une opportunité de créer des liens cohérents entre la planification et les phases opérationnelles, agissant sur l’espace et les individus en influençant leurs représentations et leur imaginaire géographique. Elle met l’accent sur l’espace en lui donnant forme à travers une vision globale du projet, comportant ainsi une dimension à la fois spatiale et sociale, liée à la manière dont cet espace est conçu et vécu.

Les saisons du Rhône genevois : premier pas vers l’Observatoire du Rhône genevois

Les saisons du Rhône : projet (HEPIA – architecture du paysage) de recherche-action pour la mise en place d’un observatoire.

L’objectif du projet est ainsi d’amorcer les discussions et fédérer les multiples regards et intérêts pour soutenir le territoire dans la transition socio-écologique. Il s’agit d’amorcer une démarche itérative et partagée :

  • sensibiliser, représenter, partager et communiquer sur les enjeux du Rhône genevois,
  • témoigner et documenter les mutations du domaine du Rhône,
  • associer et rapprocher les acteurs sur des questions de qualité de vie,
  • développer des méthodes et des outils de sensibilisation,
  • mobiliser l’interdisciplinarité,
  • aller vers une gouvernance adaptée.

Les Saisons du Rhône comme une recherche action vise à être un outil dynamique au service de la sensibilisation et d’une gouvernance transparente et partagée du fleuve. En mobilisant des dispositifs d’observation et de partage qui prennent en compte la mouvance des paysages qu’ils soient matériels ou immatériels.

Les dispositifs mobilisés :

  • En premier lieu, des rencontres

Les Saisons du Rhône a pour objectif de rassembler autour du Rhône. C’était d’ailleurs l’intitulé de la première Table Rhône qui a eu lieu le 18 avril 2024. Une série d’actrices et d’acteurs varié.es, allant des partenaires institutionnels aux associations locales, ont été rassemblés le temps d’une après-midi pour faire un état des lieux des enjeux actuels autour du Rhône genevois et localiser des lieux importants à prendre en compte dans le cadre de l’observatoire. D’autres moments de ce type sont au programme pour l’automne 2024 et l’année 2025. La présence à ce colloque et la tenue d’un stand à la fête du Rhône à Sion font également partie de la démarche tant scientifique que de sensibilisation auprès du public. A ce sujet, des ateliers participatifs, des visites de site et des balades sont également envisagées, notamment comme des moments privilégiés pour comprendre le Rhône de façon sensible, au contact des habitant.es et usager.ères du Rhône.

  • Une plateforme web

Fédérer autour du Rhône, c’est mettre en réseau les institutions, les groupes et les individus qui œuvrent pour et par le fleuve. C’est notamment dans ce sens qu’est pensée la plateforme internet dédiée au projet Les Saisons du Rhône. Accessible en ligne, elle est d’abord un espace numérique de ressources. Aujourd’hui, quelques premiers éléments y figurent comme la description du projet, du fleuve et de l’observatoire. Ce site relaye aussi les dernières nouvelles et avancées du projet. Enfin, à terme, il accueillera un atlas et une page dédiée à la mise en réseau des actrices et acteurs.

  • Un atlas des paysages du Rhône : question de représentation, support de discussion et de partage

L’atlas des paysages du Rhône est un travail en cours qui a pour but de témoigner des dimensions complexes, sensibles et politiques des milieux de vie partagés du territoire du bassin genevois. 

La cartographie a pour objectif d’être un outil de partage des lectures sensibles et qualitatives des espaces de vie du Rhône. La démarche est celle de porter attention aux multiples récits qui composent et transforment les paysages, que ce soit celles des acteur.trices institutionnelles et politiques publiques ou encore ceux d’habitant.es de tout âge.

Rassemblant des données qualitatives et quantitatives, la cartographie vise à interroger et développer, sans pour autant figer, les perceptions individuelles et les représentations collectives des multiples dimensions du Rhône comme monument vivant, traversé d’affects.

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